Disparition de Bob Wilson, metteur en scène.

Illustration Portrait Bob Wilson

« Quand l’enfant naît, il rêve déjà. Ses yeux fermés bougent rapidement. Mais à quoi rêve-t-il ? » – Robert Wilson

C’est ainsi, au cœur de l’été, quand les théâtres font relâche, que Robert Wilson nous adresse son dernier salut. Il nous quitte mais ne disparait pas. Son œuvre se propage depuis longtemps déjà dans les arts vivants et continuera longtemps à inspirer les artistes. Son geste libre, en recherche perpétuelle, a marqué de nombreuses générations d’artistes.

Roger Planchon avait été ébloui par Le Regard du sourd en 1971 (retrouvez son témoignage en 1983 – document ©INA). Il avait accueilli au TNP, quelques-uns des spectacles de Bob Wilson, au long des décennies passées : Edison en 1979, The CIVIL warS – a tree is best measured when it is down en 1983, le souvenir le plus rare étant sans doute de l’avoir vu jouer, seul en scène, dans son spectacle Hamlet a monologue en 1996. Plus récemment, Bob Wilson était revenu avec Les Nègres de Jean Genet en 2015.


Un art total au service du plus petit détail.

C’est une porte monumentale qu’il a ouverte pour nous faire entrer dans un nouveau monde. Il a fait partie de ces défricheurs, de ces visionnaires qui, en peinture, en musique, en littérature, dans les arts vivants, ont transformé à jamais les codes, bousculer les règles du jeu, pour nous amener à changer notre regard sur le monde. Entrer dans l’univers de Bob Wilson, c’était d’abord abandonner le sens et la compréhension pour laisser aller notre sensibilité et notre curiosité. C’est alors que nous nous mettions à comprendre. Ce qu’il exprimait de notre humanité, de nos failles, de nos forces, était profondément juste. Et dans une simplicité, une épure, il faisait apparaître la beauté, celle qui nous émeut, qui nous attache au monde.

Les spectacles de Bob Wilson sont des constructions d’espace-temps dont la lumière est le principal instrument car elle est la conjugaison du temps et de l’espace. Avec les sons, la lumière, les objets et les corps des acteurs, des chanteurs, des danseurs, il composait, il mettait en mouvement, il explorait tous ces éléments dans leur nature, leur durée, leur intensité, leur nuance, leur couleur, leur forme. Il créait des tableaux et leur donnait vie. Il inventait un langage sensible pour libérer notre pensée, pour qu’elle aille à sa guise, pour qu’elle ne soit pas retenue par les mots.

Le théâtre de Bob Wilson a émancipé nos perceptions. Il nous a réappris la lenteur, celle qui révèle l’essence des choses. Il nous a offert le plaisir de la contemplation. Lorsqu’on prête attention à ce que l’on voit, on découvre mille et une façons d’exprimer le vivant : tout est dans le détail et le détail est dans tout. Il nous rappelle combien chaque moment est unique, combien chaque personne est unique. Il nous réapprend le silence et sa puissance à révéler ce que les mots ne parviennent pas à nous dire.

Bob Wilson nous a invités à interpréter par nous-mêmes ce que nous regardons, à redevenir acteurs de notre pensée pour lutter contre l’uniformité, la standardisation, la pensée unique, à reconsidérer les mots que nous entendons, que nous prononçons, les paroles que nous échangeons et le sens qu’elles portent, parfois malgré nous.

C’est la vocation de l’art de nous tenir en éveil, de susciter notre curiosité et de nous encourager à rester libre.

Laure-Emmanuelle Pradelle