Delteil balaie d’un seul mouvement la question de la réelle existence de Jeanne d’Arc. Il nous emplit d’une certitude : elle vit. Elle est devant nous. La voilà , « la fille belle des victoires ». On est fasciné. Chacun au fond de soi est satisfait, car le peuple veut croire en la jeune paysanne rejetant « les calculs mous comme du fromage » et avec qui il faut toujours dire « évidemment »…
De la naissance au bûcher, les grands événements nous sont rapportés, non du point de vue historique, mais de celui du cœur, de l’organe central, du muscle qui bat et impose son rythme. Tout naturellement, la mise en scène suit le même schéma que le texte.
Le spectacle va se constituer sous nos yeux. Une actrice seule prend possession d’un plateau nu. La vraie nudité, pas celle de l’absence, du dépouillement, mais de l’abandon. Une femme entre dans un théâtre en repos. Seule la servante est allumée. La scène ressemble à celle de tous les théâtres du monde.
Sont posés là l’échelle pour les lumières, les élingues pour les cintres, le balai pour le plateau, les chariots pour transporter le matériel, bref, les outils naturels du théâtre.
Confiante en la force du verbe, il suffira à l’actrice de parler pour que la chose existe. Pleine de foi en son art, l’artiste, folle de liberté, baptise à qui mieux mieux : tire une table, grimpe dessus, et voilà le beau cheval offert par Charles VII !
Alignant scrupuleusement des pieds de projecteurs, c’est toute l’armée vivante dont elle prend le commandement qui surgit ! Joie naïve. Cette générosité théâtrale parle à chacun. Elle entretient la force de l’illusion.
Durée : 1h30
Production TNP — Villeurbanne
Les Inrockuptibles. Cette Jeanne est peut-être machiniste, ou femme de ménage dans un théâtre. Un personnage du quotidien qui se refait l’histoire de son héroïne favorite tous les jours, tant et si bien, qu’elle finit par s’en approprier un bout. La chevauchée fantastique à travers le temps, elle se la refait tous les jours, en utilisant tout ce qu’elle a sous la main. Une table à laquelle elle rajoute une corde pour créer des harnais fait un parfait cheval, un bout de moquette devient l’allée centrale de la cathédrale de Reims et on y croit vraiment. La dimension fantastique prend le pas sur le réel pour donner de vrais frissons.Véronique Klein
Le Progrès. Christian Schiaretti retrouve l’essence même du théâtre, mais aussi sa fragilité. Sous le regard émerveillé des spectateurs, la comédienne réinvente la scène comme une enfant jouant à la poupée réinvente le monde des adultes. Elle joue tour à tour sur les registres de l’innocence, de la jubilation, de la hargne, de la roublardise et de l’humour, donnant corps à ce texte singulier que l’on déguste avec gourmandise et émotion. Antonio Mafra
Le Canard enchainé. Ce qui réjouit, c’est le galop frénétique, ronflant comme un tambour, que lui inflige la vorace comédienne, dans la mise en scène peu ordinaire de Christian Schiaretti. Ici pas de décor, pas d’accessoires : un plateau non pas nu, mais en ordre de marche. Le bébé Jeanne est un bidon de térébenthine, les balais font office d’oriflamme ou de cheval, les pieds des projecteurs sur le chariot forment l’armée en marche, une simple ampoule illumine la sainte, les échelons contre les murs grimpent à l’assaut des forteresses, et les élingues entassées forment le bûcher. On joue, comme un enfant pauvre, avec ce qu’on a. Tout se transfigure séance tenante en ce qu’on veut comme si c’était naturel. Bernard Thomas