Hommage à Jean-Marie Boëglin

Photo de Jean-Marie Boëglin
© DR

Une étoile filante au Théâtre de la Cité de Villeurbanne.

Moins d’une semaine après le décès du comédien Michel Robin, victime du méchant virus à l’âge de quatre-vingt dix ans, nous apprenons que Jean-Marie Boëglin « a fait son dernier pas de côté », à l’âge de quatre-vingt douze ans, ce lundi 23 novembre dans l’après-midi, à l’Institut Philibert de Grenoble. La Covid ne l’a pas pris directement, mais beaucoup affaibli. Lui qui avait côtoyé tant de fois la mort, cette fois ne put lui échapper.

À Reims où il était jeune journaliste et puis instructeur d’art dramatique, Boëglin avait enseigné à Robin, qui rêvait de théâtre, les rudiments du jeu de l’acteur, dans l’esprit de l’Éducation par le jeu dramatique et dans l’admiration des poètes qu’il côtoyait, Antonin Artaud, Roger-Gilbert Lecomte, Arthur Adamov… Et en 1958, il l’attira à Villeurbanne dans la compagnie du Théâtre de la Cité où il fut épatant dans une dizaine de spectacles de Roger Planchon, inoubliable dans le plus petit rôle de George Dandin, le valet Colin.

Jean-Marie Boëglin avait découvert le travail théâtral de Roger Planchon fort tôt, dès l’été 1951, dans des circonstances romanesques, au cours d’une Rencontre européenne de la jeunesse, à la Loreley, sur une scène de plein air surplombant les rapides du Rhin.

Quand, en 1957, Planchon procéda à la métamorphose de son Théâtre de la Comédie, petite scène d’art et de recherche dans l’impasse des Marronniers, en Théâtre de la Cité de Villeurbanne, vaste scène populaire, il invita Boëglin à quitter ses fonctions d’instructeur au service de l’éducation populaire et à se joindre à son équipe pour y mettre en œuvre ses talents d’animateur, d’agitateur, de séducteur, car Jean-Marie Boëglin, avant toute chose, savait séduire, convaincre et transmettre les idées et les projets artistiques.

Secrétaire général, il assura la promotion des grands spectacles novateurs de Roger Planchon, Henry IV, La Bonne Âme de Sé-Tchouan, George Dandin, Le Tartuffe. Pour cela, il créa Cité-Panorama, l’organe de liaison entre les artistes, la scène et le nouveau public du théâtre de la Cité. Et dans le même temps, il ne renonça pas à sa vocation de pédagogue et utilisa la petite scène des Marronniers pour y mener un travail d’école, Les Fourberies de Scapin.

Mais un beau jour de novembre 1960, il dut quitter le théâtre par une porte discrète pour échapper aux policiers de la Sûreté d’État lancés à sa poursuite. Depuis plusieurs années, il militait pour l’indépendance de l’Algérie et, dans un réseau clandestin, il apportait un soutien actif à la lutte du Front national de libération. Condamné par contumace à dix ans d’emprisonnement, il trouva refuge au Maroc d’abord, puis dans l’Algérie devenue indépendante où, avec Mohamed Boudia et Mustapha Kateb, il fonda le Théâtre National Algérien et son école de comédiens dont l’un des premiers élèves fut Mohamed Fellag.

En 1966, lors de l’amnistie des « porteurs de valises », plutôt que de rentrer en France il resta encore quelque temps au Théâtre National Algérien. Puis il voulut contribuer encore à la construction d’une Algérie nouvelle et il entra à la Société Nationale de Sidérurgie pour y un fonder un département de graphisme et de design, « Environnement et Communication ». Jusqu’au jour de 1981 où Georges Lavaudant lui demanda de le rejoindre à Grenoble et d’assurer le secrétariat général de la Maison de la Culture.

À Grenoble, Jean-Marie Boëglin vécut une troisième vie théâtrale aux côtés de Georges Lavaudant et Gabriel Monnet qui lui offrirent même une carrière d’acteur. Son rêve de jeunesse, disait-il, fut alors comblé. En jouant dans Richard III, il connut le bonheur de traverser par trois fois le grand plateau de la cour d’Honneur du Palais des Papes ! De 1957 à 1960, il avait traversé en étoile filante les premières heures du Théâtre de la Cité et contribué par son engagement militant aux côtés de Roger Planchon à faire de Villeurbanne le phare de la décentralisation théâtrale.

Texte écrit par Michel Bataillon

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