Inspirée par l’esthétique provocatrice de Alfred Jarry, cette pièce aux allures de vaudeville joue en réalité avec les tabous et les interdits de la société.
Portée avec fougue et inventivité par les comédiens fidèles du TNP, elle propose un moment de théâtre salutairement sulfureux.
Le jour de ses neuf ans, Victor, qui soupçonne son père d’avoir une relation avec la femme de son meilleur ami, dénonce l’hypocrite comédie qui se joue quotidiennement dans le cercle familial. En brisant le précieux vase de Baccarat, il accomplit un geste prémonitoire. Son père cassera, peu après, un second vase, matérialisant ainsi l’éclatement de son couple. Malgré la mort, qui d’emblée plane sur les personnages, la pièce multiplie les gags burlesques et donne à voir une série de mauvais tours fomentés par Victor. Doté d’une exceptionnelle lucidité, cet enfant de « deux mètres et terriblement intelligent » mène rondement le jeu, pressé de faire jaillir la vérité. Chaque protagoniste devient sa cible. Alors qu’il jubile, sûr de parvenir à ses fins, il est à mille lieues de soupçonner ce qu’il va apprendre. Après avoir réglé ses comptes avec les autres, c’est à présent avec lui-même qu’il doit le faire. La farce vire au drame. Totalement déstabilisé par sa découverte, ce n’est ni dans l’exaspérante passivité d’une mère, ni dans l’irresponsabilité d’un père absent qu’il peut espérer trouver un appui. Le dénouement sanglant, annonce, avant l’heure, ce « théâtre de la cruauté » cher à Artaud qui en fut le premier metteur en scène. Pour lui, cette pièce fait preuve « d’un esprit d’anarchie profonde, base de toute poésie ».
© Michel Cavalca
Roger Vitrac, poète et dramaturge, est né en 1899 et décédé en 1952. Il publie sa première pièce, Le Peintre, en 1921 et rejoint la même année le groupe des surréalistes, duquel il sera exclu sept ans plus tard. C’est au sein de cette mouvance qu’il écrit ses trois recueils de poèmes, La Lanterne noire (1925), Cruautés de la nuit et Humoristiques (1927), ainsi que le récit poétique, Connaissance de la mort (1926). Bien qu’étant séparé du mouvement surréaliste, il n’aura de cesse de jouer avec les thèmes de l’inconscient et de l’enfance. Il se lie d’amitié avec Antonin Artaud, avec qui il fondera en 1926 le Théâtre Alfred Jarry. C’est en son sein que seront créées les pièces Les Mystères de l’amour et Victor ou les enfants au pouvoir. Cette dernière fait partie d’un cycle de pièces, avec Le Coup de Trafalgar et Le Sabre de mon père, inspirées de souvenirs autobiographiques et résolument à charge contre la société bourgeoise. C’est avec la mise en scène de Victor ou les enfants au pouvoir en 1962 par Jean Anouilh, que l’auteur obtiendra à titre posthume de la notoriété, la pièce devenant alors un classique.
Metteur en scène, pédagogue, il succède à Roger Planchon à la tête du TNP en 2002. De 1991 à 2002, il est directeur de la Comédie de Reims. Au TNP, il présente 7 Farces et Comédies de Molière et Ruy Blas de Victor Hugo pour l’inauguration d’un TNP rénové et agrandi le 11 novembre 2011. Il rend hommage à Paul Claudel, avec L’Annonce faite à Marie et L’Échange (première version). Il monte les textes de Michel Vinaver (Par-dessus bord, Bettencourt Boulevard ou une histoire de France) ; de Jean-Pierre Siméon ; de Florence Delay et Jacques Roubaud (cinq premières pièces du Graal Théâtre) ; de Denis Guénoun (Mai, juin, juillet, Festival d’Avignon 2014). Il célèbre le théâtre de Aimé Césaire avec Une Saison au Congo et La Tragédie du roi Christophe. Il s’empare de Alfred Jarry avec Ubu roi (ou presque), de Ionesco avec La Leçon. Il recrée La Jeanne de Joseph Delteil et Le Laboureur de Bohème de Johannès von Saaz. Il s’intéresse à William Shakespeare avec Le Roi Lear et Coriolan ; à Bertolt Brecht avec Mère Courage et ses enfants et L’Opéra de quat’sous ; à August Strindberg avec Père, Mademoiselle Julie et Créanciers ; à trois pièces du Siècle d’or et à deux auto-sacramentales de Pedro Calderon de la Barca présentées aussi à la Comédie-Française. Plusieurs de ses spectacles reçoivent des prix. Attaché à un théâtre de répertoire, il reprend régulièrement ses créations avec ses comédiens.
Avec Olivia Balazuc, Olivier Borle, Philippe Dusigne, Ivan Hérisson, Safourata Kaboré, Kenza Laala, Clémence Longy, David Mambouch, Corinne Martin, Juliette Rizoud
conseiller à l’écriture Olivier Balazuc
scénographie et accessoires Fanny Gamet
lumières Julia Grand
son Laurent Dureux
vidéo Marina Masquelier
costumes Mathieu Trappler
maquillage et coiffure Françoise Chaumayrac
conseil littéraire Guillaume Carron
assistante à la mise en scène Kenza Laala
stagiaire à la mise en scène Salomé Vieira
production Théâtre National Populaire
Bien que Roger Vitrac ait situé l’action en 1909 … le metteur en scène prend la liberté de la situer dans les années 90 sans pour autant qu’il s’agisse d’une adaptation.
« Et que la fête commence : Lili la bonne, s’est revêtue de son plus beau boubou, les parents de Victor et la mère d’Esther font leur entrée, tout est en place pour continuer le drame, la grande farce, jusqu’aux entrées et sorties fracassantes d’Antoine (Yvan Hérisson, effrayant, entre rien et tout), père d’Esther, le fou de la fête, le cocu, le seul adulte lucide… et tout se lézarde, le général réactionnaire débarque, plus on est de monstres plus on rit, les années Mitterrand, Maurice Papon, la guerre d’Algérie, saisissante transposition de Christian Schiaretti qui actualise le texte de Vitrac sans le dénaturer… Tout vole en éclat… surréalisme et loufoquerie, Ida Mortemart, la pétomane, personnage à la Ionesco, débarque comme un cheveu sur la soupe… Olivier Balazuc a un je ne sais quoi de Bernadette Laffont, dans sa succulente composition… »
Solveig Deschamps, Un Fauteuil pour l’Orchestre. Lire l’article
« Interpréter des enfants au théâtre est difficile et risqué. C’est pourtant le meilleur atout de ce spectacle. David Mambouch interprète Victor remarquablement, en enfant dont la clairvoyance précoce constitue un poison sourd et efficace, doublé d’un petit roi arrogant qui ne doute de rien. Mais la vraie surprise vient de Corinne Martin. Elle campe avec virtuosité un personnage de fillette odieuse et touchante, à la voix stridente que personne n’écoute, condamnée à se choisir d’autres parents. »
Trina Mounier, Les Trois Coups. Lire l’article